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Un portrait de femme en négligé par Alexandre Roslin

Partez à la découverte de la vogue du portrait "en négligé"...

Présentation de l'oeuvre

Attribué à Alexandre Roslin (1718-1793), Portrait de femme en négligé, vers 1775-1780. Huile sur toile, 63 x 51,5 cm. Château d’Aulteribe (Sermentizon)

© Hervé Lewandowski / CMN

 

L’entourage d’Alexandre Roslin a d’emblée été évoqué pour ce portrait tant le réalisme de la figure, tout comme son modelé, rappelle la manière du célèbre peintre suédois, portraitiste de l’aristocratie européenne du milieu du XVIIIe siècle.

Cette œuvre est à comprendre en référence avec le célèbre portrait de la Marquise de Marigny « en négligé » exécuté par Alexandre Roslin (Stockholm, collection particulière). Le tableau est présenté au Salon de 1767, sous le titre « Le Portrait de Madame la Marquise de ***, avec un déshabillé du matin » dans le livret. Le portrait « en négligé » s’oppose au portrait d’apparat, sans aucune connotation péjorative à la fin du XVIIe siècle, puisqu’il ne fait que désigner un vêtement confortable. Il devient même à la mode, comme le montre le portrait de femme (Paris, musée Carnavalet) exécuté par Jean François Gilles Colson (1733-1803) ou encore le Portrait de Madame Depestre, comtesse de Seneffe par Antoine Vestier (1740-1824), conservé au château de Seneffe en Belgique. La mode de la « robe-chemise » des années 1780 remplace ensuite le négligé, notamment après le célèbre portrait peint par Élisabeth Vigée Le Brun de Marie-Antoinette en robe-chemise, présenté au Salon de 1783.

À partir du XVIIIe siècle, le terme « négligé » devient polysémique. Au-delà du domaine vestimentaire, il peut s’appliquer au style d’un artiste, tant dans le domaine de la peinture que dans celui de la littérature. Par certains aspects, le négligé évoque la « sprezzatura » de Baldassare Castiglione (Il Libro del Cortegiano, 1528), cette « nonchalance » feinte, qui est une des vertus de l’homme de Cour.  Le négligé concerne ainsi une pratique sociale d’élite caractérisée par un souci de représentation de soi.

Il peut ainsi être rapproché de l’idée de « naturel » si en vogue dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, dans la mesure où le négligé entretient des liens avec le rejet des codes de la parure, contribuant au brouillage de la hiérarchie sociale d’Ancien Régime et permettant une affirmation individuelle. Le « négligé » a aussi à voir avec le combat que mènent les hygiénistes contre la rigidité extrême des vêtements, qui tend à se simplifier. Le naturel se répand dans les habits, les coiffures, le maquillage, la réduction du talon. L’étiquette perd peu à peu de son aura et la souplesse des toilettes rayonne désormais dans des tenues publiques informelles.

Le portrait d’Aulteribe, que l’on peut approximativement dater des années 1780 en raison de la coiffure, fait écho à cette du portrait « en négligé » prolongé par le port de la « robe chemise ». Son naturalisme poussé comme l’époque le souhaite : le modèle, une femme d’âge mûr, n’est absolument pas idéalisé, comme le montre le cou tombant ou les cernes des yeux.  La femme représentée n’est pas sans avoir de fortes similitudes physiques avec la comtesse de Seneffe peinte par Antoine Vestier, mais les deux portraits diffèrent sensiblement dans leurs dispositifs. Antoine Vestier fait en effet figurer des accessoires de toilettes, très présents au premier plan du tableau. Le format ovale ainsi que la sobriété du fond est davantage compatible avec le portrait de Jean François Gilles Colson conservé au musée Carnavalet.

Cependant, la palette des couleurs, le traitement de la fine percale ou une mousseline diaphane ainsi que du regard fait en effet davantage songer à l’art d’Alexandre Roslin. Diderot le décrit ainsi lors de son commentaire du portrait de la comtesse d’Egmont Pignatelli par Roslin dans le Salon de 1763 : « la robe ne fait pas trop mal le satin. Les chairs sont un peu blanches. […] En général le tout a l’air blanc ; c’est qu’on a visé à l’éclat et à l’effet. »

Quoique suédois, Alexandre Roslin exerce à Paris dès 1750, où il est reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1753. Il s'impose progressivement auprès d’une clientèle aristocratique française et étrangère. Entre 1774 et 1778, il se rend à Stockholm, puis à Saint-Pétersbourg, appelé par Catherine II, et enfin à Varsovie et à Vienne, où il est partout célébré pour ses talents de portraitiste.

 

Alexandre Roslin (1718-1793), Marie-Françoise Filleul, Marquise de Marigny, v. 1767. Huile sur toile, 93 x 75 cm. Stockholm, collection particulière

© Wikipedia

 

Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Portrait de Marie Antoinette en robe de mousseline dite ‘à la créole’, ‘en chemise’ ou ‘en gaulle’, 1783. Huile sur toile, 93 x 79 cm. Hessische Hausstiftung, Kronberg im Taunus

© Hessische Hausstiftung, Kronberg im Taunus

Oeuvre à la loupe

Pour aller plus loin

Élise Urbain Ruano, La mode du négligé et le portrait français. De la sprezzatura au “naturel” (1670-1790), Thèse sous les dir. de Patrick Michel et de Denis Bruna (Université de Lille, 14 fév. 2020)

Élise Urbain Ruano, « Le goût pour le négligé dans le portrait français du 18e siècle », Dix-huitième siècle, vol. 48, no. 1, 2016, p. 569-586.

Magnus Olausson et Xavier Salmon, Alexandre Roslin, un portraitiste pour l’Europe, cat. exp., Paris, RMN, 2008.

Autrice de la notice

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Morwena Joly-Parvex

Conservatrice du patrimoine

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