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Portrait de la présidente d’Estanville en vestale par Marianne Loir

Découvrez le feu sous la glace dans les portraits de femmes en vestale

Présentation de l'oeuvre

Attribué à Marianne Loir (v. 1715-1769), Portrait de la présidente d'Estanville en vestale. Huile sur toile, 70,5 x 56,5 cm. Château d’Aulteribe (Sermentizon)

© Hervé Lewandowski / CMN

 

Ce portrait est mentionné comme étant celui de madame d’Estanville dans l’inventaire de 1954, sous l’orthographe « D’estenivelle ». Il appartenait à Caroline Costaz-Onslow, belle-sœur du marquis de Pierre, comme l’atteste une des photographies de son hôtel particulier à Fontainebleau.

 

La présidente d’Estanville est née de Jarente, fille de Balthazar-Alexandre de Jarente, marquis de Senas, et d’Élisabeth Rambaud de Saint-Maurice. Elle épouse en 1764 Nicolas de Mahiel d’Estanville, président aux Requêtes du Parlement de Rouen. Elle est apparentée à la comtesse Marguerite Alexandrine d’Ourches (1767-v. 1835), mère de Caroline Costaz-Onslow, la belle-sœur du marquis de Pierre, à qui elle rachète le domaine en 1862 afin de purger ses dettes.

 

Ce portrait d’une très belle facture se rattache aux nombreux portraits de femme en vestale exécutés au XVIIIe siècle. Ceux-ci avaient été mis à la mode par la publication en 1725 d’une Histoire des Vestales avec un traité du luxe des dames romaines, par l’abbé Nadal. Les vestales sont ainsi entrées dans l’imaginaire du XVIIIe siècle, rencontrant le goût pour l’antique et des fantasmes plus profonds.

Ces dernières portent le suffibulum, un tissu de couleur blanche semblable au voile d’une mariée. La chaste stola immaculée est souvent magnifiée par des reflets irisés, tandis que le feu sacré de Vesta brûle en arrière-plan, donnant à l’ensemble des portraits d’un érotisme subtil, entre le feu et la glace. Sur le plan esthétique, la pureté des drapés et la sobriété de l’attitude attire les plasticiens en réaction contre les excès du rococo.


Dès 1748 la mode est lancée au sein de la cour par le portrait de Madame Sophie (1734-1782), sixième des filles de Louis XV et de Marie Leszczyńska, par Jean-Marc Nattier (1685-1766), portraitiste officiel de la famille d’Orléans puis de la cour de Louis XV. Dans ses commentaires au Salon de 1759, Denis Diderot note toutes les ambiguïtés du traitement pictural d’un tel thème par Nattier : « Voici une Vestale de Natier ; et vous allez imaginer de la jeunesse, de l’innocence, de la candeur, des cheveux épars, une draperie à grands plis, ramenée sur la tête et dérobant une partie du front ; un peu de pâleur ; car la pâleur sied bien à la piété (et à la tendresse). Rien de cela, mais à la place, une coiffure de tête élégante, un ajustement recherché, toute l’afféterie d’une femme du monde à sa toilette, et des yeux pleins de volupté, pour ne rien dire de plus ».

 

Cette mode perdure au moins jusqu’à la Révolution. La marquise de Pompadour, maîtresse officielle de Louis XV, ne manque pas d’humour en se faisant peindre à son tour en vestale par François-Hubert Drouais (1727-1775) vers 1763 (Montréal, musée David M. Stewart), d’autant qu’elle n’a plus relations intimes avec le roi à cette date. Elle tient dans ses mains l’Histoire des Vestales de l’abbé Nadal, rappelant aussi par ce biais l’origine savante de cette vogue, du point de vue d’une maîtresse qui sait en tout cas entretenir le feu sacré auprès de Louis XV. Drouais poursuit dans cette voie avec un portrait d’une jeune femme encore anonyme conservé au Metropolitan Museum of Art, qui joue beaucoup avec l’érotisme ingénu de l’inconnue portraiturée. Enfin les peintres Louis-Michel (1707-1771) et Jean-Baptiste van Loo (1684-1745) ont eux aussi exécuté de nombreux portrait de femme en vestale, de même que Marianne Loir (v. 1715-1769) comme le montre un portrait passé en vente publique en 2001 (vente Drouot, Paris, 05.12.2001).

 

L’examen attentif de ce portrait d’une femme en vestale de Marianne Loir, et notamment le dessin des mains, mais aussi le rendu des étoffes permet de déceler de grandes similitudes avec le portrait d’Aulteribe, qui apparaît de fait devoir être attribué à la peintre. Petite-fille du peintre et graveur parisien Nicolas Loir (1624-1679), et sœur du sculpteur Alexis III Loir (1712-1785), Marianne Loir se forme auprès de Jean-François de Troy (1679-1752), alors directeur de l'Académie de France à Rome, où elle séjourne entre 1738 et 1746. Admise en 1762 à l'Académie des beaux-arts de Marseille, elle mène une carrière itinérante qui explique que ses portraits soient dispersés dans plusieurs musées. Dix portraits de Marie-Anne Loir étant signés et datés de la période 1745-1769, il est probable que le tableau d’Aulteribe a été exécuté au cours de ces mêmes années.

Oeuvre à la loupe

Pour aller plus loin

Michel Delon, « Mythologie de la vestale », Dix-huitième Siècle, n°27, 1995, p. 159-170.

Autrice de la notice

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Morwena Joly-Parvex

Conservatrice du patrimoine

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