Art & Architecture

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Maison d'un aga en Grèce par Alexandre-Gabriel Decamps

Découvrez l'Orient onirique et brumeux de Descamps lors de son voyage en Grèce

Présentation de l'oeuvre

Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860), Maison d'un aga en Grèce, 1828-1830. Huile sur toile, 37 x 45 cm. Château d’Aulteribe (Sermentizon)

© Hervé Lewandowski / CMN

 

Dans cette œuvre orientaliste conservé au château d’Aulteribe, le sujet est grec et d’une brûlante actualité en raison de la violente guerre d’indépendance qui débute en 1821. Cet épisode touche fortement l’opinion publique européenne, et Eugène Delacroix (1798-1863) en immortalise l’aspect dramatique par les Scènes des massacres de Scio, œuvre exposée au Salon de Paris en 1824.

À l’opposé de la dramatisation de Delacroix, et quelques années plus tard, le tableau d’Alexandre-Gabriel Decamps donne à voir un Orient onirique et brumeux, écrasé par chaleur qui estompe les contours des édifices. Le tableau est lui aussi énigmatique, mais dans un registre quotidien, loin de l’épique Caravane de 1861, représentation mythique du désert ou du Le passage du gué, œuvres toutes deux conservées au musée du Louvre. Cette vue est bien moins réaliste et détaillée que la rue à Smyrne conservée au musée du Louvre, et c’est précisément son intérêt esthétique et sensible. L’activité des silhouettes longeant les remparts de la ville nous apparaît quotidienne, mais mystérieuse. Les deux personnages exposés au plein soleil en deviennent énigmatiques, dans la mesure où leurs poses rigides n’évoquent aucune activité. La perspective, très dessinée sur le côté dextre du tableau, s’évanouit complètement dans son côté senestre, à l’opposé des vedute vénitiens, jouant avec des symétries décalées. La composition « souvenir » s’inscrit ainsi à rebours des vues traditionnelles italiennes.

Alexandre-Gabriel Decamps est un peintre qui se forme chez un académicien de renom, Abel de Pujol, et s’attache à copier les maîtres hollandais au Louvre.  Il expose pour la première fois au Salon de 1827 et l’année suivante, il se rend en Grèce en compagnie du peintre Louis Garneray (1783-1857), peintre de marine et futur directeur du musée de Rouen. Decamps poursuit son périple qui le conduit à Constantinople et au Moyen-Orient. Il revient à Paris, ses carnets remplis de dessins, et l’artiste participe à lancer la mode de l’orientalisme en France, avec son exposition à Paris, au Salon de 1831, de sept toiles, dont Cadji Bey ou la Patrouille turque, une année à peine après la conquête d’une partie de l’Algérie (1830). Aux Salons de 1834 et 1835, il assoit définitivement sa réputation « d'inventeur de l'Orient ».

L’écrivain et critique des œuvres exposées aux Salons, Théophile Gautier évoque l’œuvre de Decamps de manière très lyrique à l’occasion du Salon de 1845 : « C’est à lui que nous devons d’avoir connu d’autres Turcs que Malek-Adel et le sultan Saladin […] il nous a fait voir […] les horizons poudroyant de lumière, toute cette nature vivace et chaude dont nous n’avions aucune idée. » 

Le château d’Aulteribe compte un nombre significatif d’œuvres orientalistes, dont certaines sont conservées en réserve, et les raisons pour lesquelles ces œuvres ont été acquises demeurent floues. Certes, René (1835-1876), l’aîné des deux fils de Joseph de Pierre et d’Henriette Onslow, obtient le poste de directeur des haras d’Algérie, avec pour mission de fournir l'armée française en chevaux : des pur-sang arabes importés d'Orient et des barbes, une race d'Afrique du Nord qui était déjà montée dans l'Antiquité et réputée pour son endurance. Cependant, cette expérience professionnelle n’explique pas entièrement la présence de des peintures orientalistes du château d’Aulteribe.

Ces œuvres ont été probablement acquises par son épouse, Marie Clauzel, collectionneuse d’objets d’art et de tableaux et nièce de Bertrand Clauzel, baron d’Empire depuis 1810. Rentré en France en 1820, il coopère en faveur de la révolution de Juillet, et est envoyé en Afrique, en qualité de gouverneur général. Général en chef des troupes de l’Algérie, il occupe Blida, Médéa, mais il cède les provinces de Constantine et d'Oran à des princes tunisiens et est écarté pour ce motif. Rappelé en France en 1831, il reçoit le bâton de maréchal, puis est renvoyé en Algérie en 1832 jusqu'en 1836. Il prend Mascara, et commande la première expédition de Constantine. Il fait partie des 558 officiers à avoir son nom gravé sous l’Arc de triomphe de l'Étoile. C’est donc plus probablement pour témoigner de son lignage que Marie Clauzel achète quelques tableaux des premiers peintres orientalistes comme Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860), puis Eugène Fromantin.

De plus, par l’épouse d’Arthur Onslow, Caroline Costaz, la famille de Pierre est affiliée au baron d’Empire Costaz, membre de l’institut d’Egypte. Le goût orientaliste de la famille épouse ainsi précisément les évolutions du siècle. Les premiers artistes à se rendre collectivement en Orient sont en effet ceux choisis par l’Empereur pour l’expédition d’Egypte, véritable expédition culturelle et scientifique qui permet une production significative d’œuvres. « L’égyptomanie », se propage en Europe en direction d’un large public, et se fait une place au Salon de peinture de Paris.

 

Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860), La Caravane, 1861. Huile sur toile, 60,5 x 100 cm. Paris, musée du Louvre

© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

 

Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860), Le passage du gué. Huile sur toile, 58 x 118 cm. Paris, musée du Louvre

© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojeda

 

Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860), Une rue à Smyrne. Huile sur toile, 77 x 60 cm. Paris, musée du Louvre

© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

Oeuvre à la loupe

Pour aller plus loin

Lynne Thornton, Les orientalistes, peintres voyageurs, 1828-1908, Courbevoie/Paris, ACR édition, 1983/2001.

Lynne Thornton, Du Maroc aux Indes, voyage en Orient, Courbevoie/Paris, ACR édition, 1998.

Autrice de la notice

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Morwena Joly-Parvex

Conservatrice du patrimoine

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